« Ça va » est le mensonge le plus courant, explique Arnaud Blavier dans ses formations. Nous mentons en moyenne 2 à 3 fois sur 10 minutes, ajoute-t-il. L’importance de décoder le langage corporel de l’interlocuteur devient évidente : vérifier si ce qu’il dit est vrai, ou s’il ressent une émotion, une pensée, un élan que son discours ne traduit pas.

Mais pourquoi ne pas se contenter des mots ? Parce que les mots sont plus facilement employés consciemment, alors que la communication non verbale est inconsciente, ou en tout cas difficile à contrôler consciemment (micro-expressions de moins d’une seconde, dilatation des pupilles, pigmentation de la peau, légers changements de posture, clignement des paupières…).
Le corps dit de nous ce que nous taisons : nos envies véritables, nos aspirations profondes, nos humeurs du moment, notre degré d’approbation avec ce qui est dit ou ce qui se passe. Le décodage corporel est fondamental si nous souhaitons nous connecter et communiquer à propos de notre animalité, qu’il nous arrive de refréner (à tort ou à raison) et que nous ignorons parfois en nous mentant à nous-mêmes.
La question de l’authenticité dans les relations est donc centrale dans la détection des émotions. Cette compétence fondamentale de l’intelligence émotionnelle permet de comprendre l’autre dans ce qu’il vit et souhaite, et par conséquent d’y réagir adéquatement. Ainsi je ne peux rassurer un collègue ou un employé que si je comprends qu’il est stressé ou sous tension. Je peux orienter mon discours et mes actions en fonction de ce que j’analyse des objectifs de mon patron. Ou adopter une stratégie de séduction envers un client pour conclure une vente. En cas de désaccord, je peux aussi relever ce avec quoi l’autre est d’accord ou pas, pour imaginer des solutions adaptées. L’analyse du langage corporel et de la voix permet de déceler les premiers signes d’une agressivité croissante chez l’autre, de contre-manipuler si je ne le pense pas sincère, ou encore de dire non à ce qu’il sous-entend sans le dire clairement.
Prenons une illustration. Nous sommes en réunion avec une collaboratrice. Durant la discussion, elle émet plusieurs signaux non verbaux, que je peux alors interpréter d’une certaine manière, en lien avec ce qui se passe. Afin de ne pas jouer les apprentis-sorciers et d’éviter les malentendus, il est essentiel de s’assurer avec la personne que ce que j’interprète correspond à ce qu’elle ressent.
Le temps d’une réunion, une personne peut passer par de nombreux états émotionnels, plus ou moins visibles.
Ma collègue est-elle tracassée par quelque chose (elle regarde dans le vide) ? Une phrase qui a été dite durant les échanges l’a-t-elle choquée (elle fronce brièvement les sourcils après ce que je viens de dire) ? Lorsqu’elle regarde plusieurs fois son téléphone, je peux vérifier si elle attend un message ou un appel, si quelque chose à l’extérieur l’inquiète, ou si elle aurait besoin d’une pause. Après une explication, mon interlocutrice me dit qu’elle a compris en faisant un léger mouvement de la tête de gauche à droite : je peux lui demander de me confirmer que c’est bien le cas, ou encore reformuler ce qui vient d’être dit pour m’en assurer.
Imaginez par ailleurs le nombre de signes non verbaux qui sont émis lors d’une réunion avec 5 ou 10 collaborateurs. L’animateur d’une telle réunion a tout intérêt à porter une attention aux messages non verbaux. Certains d’entre eux pourraient avoir une importance cruciale pour le bon déroulement du travail, ainsi que pour la qualité de la communication interne de manière générale.
Même si je me trompe sur certaines hypothèses que je fais, même si je n’ai pas conscience de tout ce qui anime mes collaborateurs à tout moment, même si je choisis parfois de ne pas en tenir compte ou de taire ce que je pense, ces « moments miroir » font partie de ce qui contribue à la qualité des relations au travail. L’attention aux signes non-verbaux me place dans une posture d’écoute, non seulement de ce qui est dit, mais aussi de ce qui ne l’est pas.
L’empathie est donc en jeu dans le décodage non verbal. Si je capte le ressenti de l’autre, je peux lui renvoyer ce que j’en ai compris. Ce retour peut passer soit par le corps (en me mettant en synchronisation ou mimétisme corporel et vocal avec lui), soit par l’écoute active de son émotion (« Tu es déçu par ce changement ? »). Cette reformulation physique et psychologique donne l’autorisation à l’interlocuteur de ressentir ce qu’il ressent, peut l’aider à exprimer et à décharger son émotion (par la reconnaissance qu’il en reçoit), et l’invite à trouver des solutions ou à verbaliser ce qu’il veut.
A travers l’observation de mes expressions faciales, de mes mimiques et de mes gestes, l’autre peut d’ailleurs comprendre des impulsions et des envies dont je n’ai pas conscience. Cela peut apporter des nuances et des compléments très utiles à la connaissance que j’ai de moi.
Pour terminer, accompagner l’écoute active d’une « posture en miroir » active les neurones miroirs, si précieux dans la consolidation des liens humains entre les mammifères supérieurs que, dans les moments de stress, nous pouvons parfois oublier que nous sommes…